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Lille 2000 Claques…

vendredi 26 décembre 2003


Tagadatsointsoin ! Ouverture de rideau, le grand cirque « Lille 2004, capitale européenne de la culture » est lancé. Flonflons, bals et arches ouvrent cette vaste opération marketing d’une culture prémâchée. Après avoir eu le TGV et Euralille, la ville a raté les JO mais elle aura LA CULTURE. On va enfin pouvoir entendre gueuler sur toutes les ondes que la région martyre de la crise industrielle renaît de ses cendres ! On avait déjà remarqué que le Nord-Pas-de-Calais devenait tendance : le MEDEF était à Douai pour vendre sa soupe sur l’éducation, Chirac paradait dans les rues de Valenciennes et Ferry venait causer réformes dans la fac pilote de la même ville.

Faites la fête ou sinon…

Qu’est-ce qu’on va se marrer cette année ! Des arbres à l’envers, la gare toute rose, de quoi lever les yeux pour ne pas regarder par terre. Il a fallu sacrément préparer le terrain pour en arriver à cette apogée. Mais la ville est prête : Wazemmes est nettoyé de ses pauvres, la rue Faidherbe est toute neuve, l’arrêté anti-alcool a permis de virer les SDF du centre-ville, l’affreuse barre grise est tombée et ses 839 locataires éparpillé-e-s… À nous les touristes du monde entier ! Et tout
ça grâce à l’esprit de solidarité des gens du Nord, comme le martèle à l’envi notre bonne maire. Parce que Lille 2004, ce n’est pas seulement la Culture, c’est aussi et surtout la solidarité, c’est la fête, c’est carrément « un nouvel art de vivre ensemble », comme titrait le journal paroissial. Mieux vivre ensemble, c’était aussi l’intitulé du débat au Forum des Locataires de L.M.H. (Lille Métropole Habitat) : à la tribune, un commissaire, un procureur et le chef des agents d’ambiance. Tout de suite, on comprend mieux ce que veut dire mieux vivre ensemble, et on se dépêche d’aller faire la fête de peur de se faire remarquer, puisque c’est la fête de tous les Lillois, nous dit-on.

Il paraît aussi que c’est gratuit, Lille 2004. Enfin pas tout quand même. Culture populiste d’accord, mais culture populaire, il ne faudrait pas exagérer. Alors on a tout un tas de spectacles à 22 euros pour que l’élite puisse rester tranquille. Pour les autres, on a quand même trouvé des sous : 70 millions d’euros d’investissement et 74 millions pour le fonctionnement. Evidemment, il a fallu du coup que la ville fasse des économies ailleurs.

Heureusement, les patrons et les entreprises sont là pour financer et choisir la culture du peuple. Celles-ci ont apporté plus de 10 millions d’euros, non seulement en échange de l’omniprésence de leurs logos partout où on peut les caser, mais aussi parce que cette opération de mécénat finance « de véritables accompagnements de projets représentatifs des valeurs et des savoirs faire des entreprises [1] ». On commence à saisir le sens du mot « culture », qui ressemble de plus en plus à « publicité » et à « marketing ».

Démocratie participative : la bonne blague

Évidemment, la « culture par tous et pour tous », ça exige que les gens aient leur mot à dire. On se souviendra longtemps des Ateliers Urbains de Proximité dans lesquels Martine Aubry invitait ses ouailles à prendre sa place (« Moins on sera présents plus on sera contents », répétait-elle) pour définir collectivement le fonctionnement des Maisons-Folie. La belle idée !

Seulement, dès que les participant-e-s aux ateliers ont eu des idées un peu imprévues, exit la démocratie participative, revoilà le clientélisme. Et vas-y que j’annule les ateliers pour cause de « problèmes » (!), que j’t’invite dans mon bureau pour qu’on en discute, que j’donne ceci à celui-ci et que j’te place celui-là à cet endroit [2].

De toute façon, que pouvait-on attendre d’un événement culturel organisé par la bande à Bonduelle du Comité Grand Lille, dont les promoteurs ne parlent que d’image de marque et de retombées économiques. De la culture, sûrement pas, du business par contre… La culture n’a pas besoin du patronat pour exister, les intermittent-e-s du spectacle en savent quelque chose. Gageons qu’en compagnie des ancien-ne-s salarié-e-s d’Altadis, de Stein-Alsthom, de Lever, des Peignages de la Tossée, des sans-emploi, des sans-papier-e-s et de tou-te-s les révolté-e-s, ils et elles sauront empêcher l’Etat et les patrons de profiter pleinement de Lille 2004 !

À la culture d’élites, répondons par la culture des luttes !

Notes

[1Intervention de Martine Aubry lors de la réouverture de l’Opéra le 28/04/03.

[2Si ! Certain-e-s d’entre nous y assistaient !